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Lu sur http://anicetlepors.blog.lemonde.fr/

Evolution de la Fonction publique – audition au CESE du 20 octobre 2016

Audition le 20 octobre 2016 d’Anicet Le Pors par la commission temporaire « Évolution de la fonction publique »

du Conseil économique social et environnemental

(résumé)

 La lettre adressée par le Premier ministre au Conseil économique social et environnemental est un acte positif. Il soulève pourtant deux interrogations qui sont des réserves. Premièrement, pourquoi une lettre aussi tardive ? Elle aurait eu toute sa place dès le début du quinquennat. Deuxièmement, l’ampleur des domaines d’étude retenus, l’horizon fixé à moyen terme assorti d’étapes à préciser et ce à six mois de l’élection présidentielle de 2017 me semblent des injonctions incompatibles compte tenu de la brièveté des délais impartis à votre commission. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une volonté constructive.

Pour ouvrir des perspectives il faut faire des hypothèses sur le long, voire le très long terme. Le XX° siècle a pu être qualifié de « prométhéen » en raison d’une sécularisation croissante. Des empires coloniaux ont pu prospérer, deux guerres mondiales ont sanctionné des volontés hégémoniques. Des États totalitaires ont tenté d’imposer leur ordre. De grandes idéologies messianiques ont inspiré de puissants courants politiques pratiquant des religions séculières. Puis ce fut l’effondrement à la fin du siècle, nous laissant dans une situation sans repères. J’ai écrit en 1993 Pendant la mue le serpent est aveugle (Albin Michel) une formule de l’écrivain allemand Ernst Jünger. Aujourd’hui, Edgard Morin utilise la juste formule de « métamorphose » pour caractériser notre époque. On comprend qu’il soit difficile de faire des prévisions dans une telle situation, il faut cependant s’y exercer.

Je considère pour ma part que le libéralisme aujourd’hui dominant n’est pas l’horizon indépassable de l’histoire. La crise actuelle est une crise systémique, d’aucuns en appellent au « retour de l’État ». Le processus est d’ores et déjà celui du développement d’interconnections, d’interdépendances, de coopérations, de solidarités. Des valeurs universelles sont en gestation. Des biens communs affirment la nécessité de leur satisfaction générale. Des dispositifs matériels et immatériels se mettent en place. Tous ces éléments portent un nom dans notre pays : le service public, au sein duquel la fonction publique occupe une place prépondérante. Les fonctionnaires sont ainsi appelés à jouer les premiers rôles au sein de cette métamorphose. J’ai la conviction que, sur ces bases, le XXI° siècle sera l’ « âge d’or » du service public. Comment s’inscrire concrètement dans cette perspective ?

La définition de chantiers à mettre en place sur le moyen terme (le délai retenu par la lettre du Premier ministre), mais qui se développeront sur le long terme, en est le moyen. J’en retiendrai ici une dizaine à titre d’exemples.

1. Doter l’État et les collectivités publiques de moyens d’expertise. Depuis la seconde guerre mondiale on a assisté à une régression de la pensée rationnelle en matière de politique publique. C’est l’histoire de la succession des entités suivantes : Commissariat général du Plan (CGP), DATAR, Rationalisation des Choix Budgétaires (RCB), démarches d’évaluation, LOLF, RGPP, MAP, France stratégie, déliquescence managériale. Il faut reconstruire une administration rationalisante.

2. Pratiquer une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences. C’est une obligation pour les pouvoirs publics de prévoir le nombre de fonctionnaires dont la nation aura besoin à 10 ou 20 ans. Tout est paramétrable dans la fonction publique et un traitement mathématique des prévisions peut y être développé. J’en avais amorcé une tentative en 1983 avec le modèle CHEOPS. La fonction publique doit sortir de la contrainte de l’annualité budgétaire..

3. La mobilité a été posée comme garantie fondamentale à l’article 14 au Titre 1er statut général. Mais les modalités statutaires actuelles ne sont pas suffisantes pour le mettre en œuvre correctement. Certaines réformes introduites ont contrarié cette garantie (Loi Galland du 13 juillet 1987). De nouveaux moyens juridiques et financiers doivent être étudiés à cette fin (exemples des corps interministériels et des corps inter-fonctions publiques du rapport Pêcheur).

4. Des bi- ou multi-carrières doivent être envisagées. Car il sera de plus en plus insupportable, vu l’allongement des carrières professionnelles, d’exercer le même métier pendant des décennies. Le rapport de Serge Valmont sur le sujet a ouvert la voie d’une réflexion nécessaire (Documentation française). Cette réforme entrainera sans doute la nécessité d’un très important effort de formation continue, mais elle est indispensable.

5. Le champ du recours aux agents contractuels doit être mieux circonscrit. Le laxisme a conduit à certains recrutements anarchiques qui aboutissent à ce que 20 % des effectifs de la fonction publique soient dans cette situation. Des critères plus rigoureux doivent être définis et les titularisations nécessaires effectuées.

6. L’égal accès des femmes et des hommes aux emplois doit être assuré, notamment en ce qui concerne l’accès aux emplois supérieurs des fonctions publiques. Les travaux du comité de pilotage constitué entre 2000 et 2005 qui ont fait l’objet d’une publication de trois rapports à la Documentation française doivent être repris. S’agissant des emplois supérieurs, la question est avant tout politique pour les postes à la discrétion du gouvernement.

7. L’expansion de la numérisation des services publics doit être maîtrisée. Elle donne les moyens d’une gestion moderne et efficace, mais sa mise en œuvre suppose une étroite concertation tant avec les usagers qu’avec les fonctionnaires afin de faciliter son accessibilité sans souffrance tant pour les praticiens que pour les utilisateurs. Le service public a un rôle important a jouer pour éviter la dissolution du lien social et le repli individualiste auquel tend le libéralisme.

8. La coopération des fonctions publiques au plan international doit être développée selon un principe de réciprocité. La perspective d’extension du secteur public comme du service public permet d’envisager qu’en dehors des activités diplomatiques habituelles, des fonctionnaires puissent exercer dans des administrations de pays étrangers à fin d’enrichissement des qualifications et des expériences, ainsi que pour l’amélioration de la coopération internationale.

9. La participation des fonctionnaires à la conception et à la gestion des services publics est la garantie de leur efficacité au-delà du simple dialogue social souvent très formel. Les organismes paritaires doivent voir restaurer leur compétence. La validation législative ou réglementaire d’accords internes doit être reconsidérée.

10. La définition d’un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé est la condition d’une amélioration d’ensemble des situations dans le respect de la spécificité du service de l’intérêt général dont les fonctionnaires ont la charge. Elle doit permettre la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle permettant la sécurisation des parcours professionnels et réduire simultanément l’accusation injuste de privilégiature dont est souvent vistime la fonction publique.

D’autres chantiers structurels sont envisageables. Il conviendrait de dégager des priorités dans le champ ainsi défini

Dans l’immédiat, et compte tenu de la brièveté des délais, le gouvernement pourrait avoir l’objectif d’assainir la situation en revenant sur les dénaturations qui ont affecté l’organisation administrative et le statut général des fonctionnaires au cours des trois dernières décennies. Ainsi, sans dépenses nouvelles, il serait possible de revenir sur les dispositions de la loi Galland (retour des cadres aux corps, suppression du système dit des « reçus-collés »), annulation des effets de l’amendement Lamassoure relatif à l’exercice du droit de grève dans les services publics (préavis de cinq jours, prélèvements sur traitement correspondant à la durée de l’arrêt de travail), restauration de la 3° voies d’accès aux emplois publics dans leur vocation initiale, etc. L’inventaire des modifications statutaires intervenues depuis la création du statut en 1983, à l’instar de ce qui a déjà été esquissé (cf. article et fiction de Christian Vigouroux dans AJDA, 17 juin 2013) serait utile pour distinguer les bonnes des mauvaises réformes, tout en mettant en perspective les chantiers structurels prioritaires retenus.

Tag(s) : #Fonction publique
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