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[Marie N'Diaye (Prix Goncourt 2009), citée par Le Figaro: «Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité... Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je trouve cette France-là monstrueuse», affirmait-elle en réponse à la question «Vous sentez-vous bien dans la France de Sarkozy?».] 

 

Jean-Louis Dubois-Chabert   La Dépêche du Midi.  décembre 2008.

Toulouse. Depuis six mois, ils n'ont pas vu leur père expulsé en Algérie Il y a six mois, Nesredine était renvoyé en Algérie, laissant à Toulouse sa femme et ses cinq enfants.


Dans la nuit de Noël, Sarah a écrit à son père, éloigné d'elle et de sa famille depuis son expulsion fin juin. 

 

Le 19 juin dernier, Nesredine Gamrih était expulsé vers l'Algérie. Nesredine était un « sans-papiers ». La semaine précédente, sa famille avait été parrainée, lors d'une cérémonie solennelle présidée par le maire de Toulouse. Six mois plus tard, nous avons voulu savoir ce qu'était devenu Nesredine. Comment vivaient sa femme et ses enfants, séparés de lui. Interpellé et placé en garde à vue deux jours avant son expulsion, suite à un banal contrôle d'identité, c'est par un coup de téléphone du commissariat central de Toulouse que sa femme, ses trois filles et ses deux fils apprennent l'arrestation de Nesredine. « Tout le monde s'est mis à pleurer », se souvient Sarah.

Expulsé, Nesredine… Fadela, son épouse est pourtant Française : née en 1954 à Paris. Lorsque, en 2006, elle est venue en France, l'administration lui a d'ailleurs légitimement délivré son titre de séjour. Nesredine a donc vendu le commerce familial, une quincaillerie, à Oran. Et la famille a rejoint la maman. « Je voulais venir en France. Pour l'avenir de mes enfants », explique Fadela. Et comment une mère ne souhaiterait-elle pas sauver ses enfants d'une menace islamiste de plus en plus imminente ?

Une vie terrée

Mais la politique dite d'immigration « choisie » mise en place par Nicolas Sarkozy et son ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Brice Hortefeux, est passée par là. Brutale. Aveugle au sort périlleux des étrangers qu'elle renvoie chez eux. Décrétant interdite ou presque l'immigration familiale au profit d'une immigration économique. Quitte à briser des familles.

Lorsque Sarah, l'aînée des trois sœurs a son père au téléphone, celui-ci ne s'attarde pas sur son cas. « Il ne parle pas de sa situation. Il dit toujours que ça va ». Mais personne n'est dupe. Nesredine vit chez son frère et n'a pas retrouvé de travail. On peut toujours s'en laver les mains, mais le renvoyer en Algérie, c'était aussi le condamner à la dégringolade sociale et morale.

Ici, à Toulouse, la famille vit de peu. Parler de survie serait plus exact avec, chevillée au corps, « la peur que la police revienne ». « Chaque fois qu'elle doit sortir, maman regarde partout », décrit Sarah. Terrée le plus clair de son temps, Fadela. Terrée dans un appartement où le gage contre les mauvaises surprises s'appelle verrou et le nombre de coups de sonnette fait office d'indispensable sésame.

En Algérie, Sarah nourrissait deux rêves : devenir avocate ou comédienne. A Toulouse, elle ne les a pas perdus de vue. Mais l'adversité et ce « trop de colère contre la préfecture » qui sublime ses peurs l'ont convertie au pragmatisme. Un BEP de secrétariat comptable, d'abord. Avocate, peut-être, plus tard. Ou comédienne, sait-on jamais… C'est d'ailleurs sans hésiter que la jeune fille a voulu témoigner du sort qu'on réserve aux étrangers privés de papiers dans un documentaire pour le cinéma que José Chidlovsky et Rabeha El Bouhati tournent actuellement à Toulouse. Actrice de sa vie. Malgré tout. Malgré ce paradoxal sentiment qui la hante à l'approche de son dix-huitième anniversaire : « Le 5 avril, j'aurai 18 ans. Ça me tarde… Mais en même temps je sais que dès le jour de mes 18 ans je serai en danger ». Majeure. Donc expulsable.

À Sarah, parce que nous étions le 1er janvier quand sa famille nous a ouvert sa porte, nous avons demandé si elle avait un vœu à formuler. Et Sarah, avant de nous confier la lettre qu'elle a écrite à son papa (lire ci-dessous), a dit ceci : « Je veux que mon père revienne et qu'on se retrouve tous ensemble. Comme avant. » Simplement.

« Papa, tu me manques tellement… Je ne sais pas quand finira ce cauchemar »

Ce que ressent une fille pour son père, éloigné d'elle par une époque où les lois se moquent des désagrégations familiales qu'elles provoquent, Sarah a voulu le lui dire. Ou le lui écrire, plutôt. Jamais, dit-elle, elle n'aurait pu dire ces mots au téléphone. Pudeur.

Sarah a souhaité rendre publique cette lettre poignante, bouleversante. Elle aurait pu l'envoyer par la poste à son père. Mais le risque que son courrier soit ouvert et lu par quelqu'un d'autre que lui, là-bas, à Oran, l'en a dissuadée. Insoumise, Sarah qui, plutôt que d'être lue sans son consentement, a préféré publier ses mots simples, rédigés dans la nuit de Noël. Comme, on envoie un cri d'amour et de colère à la face du monde.

 

« 25 décembre 2008 à 2 h 35.

Papa je t'écris cette lettre et j'ai les larmes aux yeux. Papa tu me manques tellement, papa je veux te voir, c'est grave. Papa j'ai mal, j'essaye d'être forte mais walah… Je n'en peux plus. Comme tu sais, papa, je ne suis pas une fille qui ne sort pas ce qu'elle a dans le cœur. J'ai envie de crier et de t'appeler et tu viens et je te serre fort dans mes bras. Papa, je sais que tu veux que je me marie, et surtout tu veux que je me marie « pour les papiers». Mais moi, je ne veux pas me marier avec quelqu'un que je n'aime pas. Mais moi, pour te faire plaisir j'allais me marier avec quelqu'un que je n'aime pas ; je voulais sacrifier ma vie pour te faire plaisir.

« En octobre 2008 j'ai rencontré Rabeha, José, Aurélie et mon prof de maths, Nicolas. Ils m'ont trop aidée à m'en sortir. Avec eux je fais un film. Grâce à mon prof de maths j'ai évolué en maths. J'ai de trop bonnes notes et une bonne moyenne. J'ai aussi trouvé un lycée pour l'année prochaine.

« Je ne sais pas quand il se finira, ce cauchemar, mais j'ai toujours de l'espoir. Des fois je me dis que la vie est belle, et des fois non. Je ne sais pas encore si elle est belle ou pas ? Je ne trouve pas de réponse…

« Papa, dans trois mois j'ai 18 ans. Ça me tarde et en même temps je ne veux pas que ce jour vienne parce que, sûrement, je recevrai une obligation de quitter le territoire français. Déjà si loin de toi je ne veux pas être loin de ma mère et de mes frères et sœurs.

 « Pour finir, je veux te dire que je t'aime trop et que tu me manques ».

Sarah.

 

VoirMaltraitance des enfants de sans-papiers (2)

et

22 novembre: 6h pour les Droits de l'Enfant et des familles sans papiers 

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