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par Roger MARTELLI

 

Lu sur http://maintenantagauche.org/?m=200805  

L’année 2007 a été celle du triomphe d’une droite décomplexée, assumant à l’anglo-saxonne son choix d’un libéralisme économique intransigeant et son désir d’ordre, sous toutes ses formes. Au même moment, la gauche française est au tapis. La candidate plébiscitée du Parti socialiste a perdu son pari. Quant à la gauche de la gauche, nettement au-dessous de la barre des 10 %, elle réalise son plus mauvais résultat depuis 1981. Or, moins d’un an plus tard, les élections municipales ont été les meilleures pour la gauche depuis 1977. Sans doute doit-on tenir compte d’une abstention record qui perturbe les mobilisations politiques et relativise victoires ou échecs. Mais, au total, le Parti socialiste et ses alliés administrent désormais près de la moitié de la population des communes françaises, contre 46 % à la droite. 

Est-ce le signe que la gauche a repris l’offensive ? On est en fait très loin du compte. Pour tout dire, cette gauche a été incapable, jusqu’à ce jour, de tirer les leçons de son échec, pas plus qu’elle n’avait su le faire après le camouflet d’avril 2002.

Le parti dominant, le Parti socialiste, l’est plus que jamais, dans un système politique où le bipartisme a franchi un seuil sans précédent. Le PS et l’UMP contrôlent à eux seuls entre les deux tiers et les trois quarts de la France urbaine ; ils ont obtenu 60 % des conseillers généraux élus en 2008, contre un peu plus de 40 % à la consultation précédente de 2001. L’écart entre le PS et les autres formations de la gauche s’est accru une fois de plus. Or les socialistes n’ont pas réussi à trancher leur dilemme stratégique. A priori, ils sont tentés de suivre la voie empruntée par le socialisme européen dans son écrasante majorité. Face à une droite berlusconienne radicalisée par le mariage de la concurrence libre et de l’ordre moral, le plus efficace n’est-il pas d’offrir l’image d’une gauche « réaliste », intégrant les contraintes libérales de la mondialisation et l’exigence d’une mise au travail accrue, tout en prônant des marges de redistribution plus larges que celles tolérées par la logique hyper-libérale ? Le social-libéralisme et l’ouverture vers le centre sont les deux figures de cette tentation. Dans le Parti socialiste, nul ne se réclame officiellement des grands modèles anglais et allemand. Mais s’ils modulent différemment le discours de gauche, les candidates et candidats au leadership n’ont pas l’intention d’annoncer une rupture avec les choix gestionnaires suivis entre 1983 et 2002. Sans doute les difficultés du Modem et la débâcle de la gauche italienne rendent-elles plus difficile le discours de « recentrage » tenu naguère par Ségolène Royal. Reste que la gauche socialiste est à ce jour trop éclatée et trop floue dans ses projets pour espérer construire autour d’elle une nouvelle majorité.

La gauche de la gauche, elle, n’est pas sortie de son choc de 2006-2007 et reste atomisée. Pour l’instant, c’est le discours de la LCR qui a le vent en poupe : dans le désarroi qui a suivi l’échec de la candidature antilibérale, le propos du « grand parti anticapitaliste » peut séduire par son désir de rupture absolue avec la gauche de renoncement incarnée par le PS actuel. Pourtant, en ouvrant la voie d’un regroupement de forces critiques autour de la seule LCR, de ses forces organisées et de sa culture, la tentative impulsée par Olivier Besancenot risque de vouer la gauche la plus critique à la fonction de simple aiguillon d’une gauche vouée pour longtemps à l’hégémonie d’un socialisme plus ou moins recentré. En dehors de ce pôle bien structuré, la situation est des plus floues. Le PCF semble hésiter entre splendide isolement et dépendance de fait à l’égard d’un PS capable de dispenser autour de lui les miettes électorales de sa puissance. Quant à ce qui reste du rassemblement antilibéral de 2004-2006, il a du mal à surmonter son éclatement, son amertume, voire ses ressentiments.

L’exemple de l’Italie montre que, si la gauche n’est pas à la hauteur de ses responsabilités, l’évolution la plus rétrograde peut se produire. Toute stratégie de renoncement, fût-ce au nom d’un vote « utile », est vouée à l’enlisement et à l’échec, comme Rifondazione en a fait l’amère expérience en Italie. En revanche, toute stratégie de contournement de l’exigence majoritaire à gauche, fût-ce au nom de la nécessaire radicalité, conforte de fait la logique du bipartisme. Il convient donc de rendre possible au plus tôt des rassemblements de toute la gauche, ce qui suppose de ne pas considérer comme une fatalité l’alignement social-libéral du socialisme français. Mais, pour y parvenir, il n’y a pas d’autre solution que de donner force politique autonome aux sensibilités, courants et individus qui, d’ores et déjà, sont gagnés à l’idée que la gauche n’a de sens que raccordée à la critique radicale de l’ordre libéral-capitaliste, adossée au mouvement réel de contestation de cet ordre et structurée autour d’un projet d’alternative franche aux logiques aujourd’hui dominantes dans la société.

D’une manière ou d’une autre, il s’agit de redynamiser ce qui, en France, a toujours été une réalité structurante : depuis plus de deux siècles, la gauche critique n’a jamais été vouée au rôle de force subalterne, mais occupe une place centrale dans la dynamique d’ensemble de la gauche. D’une façon ou d’une autre, il est donc possible de reproduire en France, sous des formes adaptées, le mouvement qui, en Allemagne, conduit Die Linke à bousculer la donne à gauche et à faire vaciller le bipartisme.

Que, jusqu’à présent, aucune démarche alternative n’a réussi à se substituer à l’ancienne « union de la gauche », n’invalide pas la nécessité de tout faire pour qu’une telle démarche finisse au plus vite par voir le jour. S’il faut se placer sans attendre dans la perspective de majorités à construire face à la droite, ces majorités ne peuvent être envisageables dans la configuration politique actuelle. Toute reconstruction suppose le préalable de l’indépendance à l’égard du PS : une indépendance de fait et non de verbe ; une indépendance non pas « contre » ledit PS, mais « pour » que la gauche transformatrice puisse en toute liberté agir pour reconquérir l’hégémonie à gauche. Or cette reconstruction bute pour le moment sur quatre obstacles : le maintien, ici ou là, de l’illusion selon laquelle une force est capable de réaliser l’agrégation autour d’elle de tout l’espace de transformation sociale ; la coupure persistante avec des catégories populaires qui ont trop cru en vain pour se laisser tenter par de nouvelles promesses ; l’incapacité à amalgamer véritablement, dans de nouvelles synthèses les générations et les variantes désormais largement plurielles de la critique sociale ; la coupure qui s’est plutôt accentuée entre dynamiques sociales et constructions politiques.

Tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, consciente ou inconsciente, entretient l’un ou l’autre de ces obstacles est contre-productive. À toutes et tous, à chacune et à chacun, d’en tirer les leçons, pour soi-même et pas pour les autres.

 Roger Martelli

Tribune parue dans Le Sarkophage 

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Tag(s) : #Débats
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