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La fabrique du travailleur pauvre

par Pierre Jacquemain | 28 octobre 2019

Avec sa réforme de l’assurance chômage, le Président espère bien diminuer le nombre de chômeurs, sans pour autant leur trouver un emploi. De la poudre de perlimpinpin à quelques mois des municipales.

La semaine dernière, l’annonce des nouveaux chiffres du chômage s’accompagnait de commentaires (presque) unanimes : « Bonne nouvelle sur le front de l’emploi », pouvait-on entendre sur les chaînes d’information en continue et lire dans la presse papier généraliste. En effet, selon Pôle Emploi, le nombre de demandeurs d’emploi afficherait un recul de 0,4% au troisième trimestre et de 2,4% sur une année. La France compterait désormais 5,836 millions de chômeurs.

 

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Cette décrue devrait s’accélérer plus encore avec l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance chômage qui prendra effet dès le 1er novembre. Mécaniquement, le durcissement des règles de l’indemnisation de Pôle Emploi devrait réduire de 200.000 à 400.000 le nombre de personnes indemnisées, entre la fin d’année et le début de l’année prochaine. Seront-elles pour autant de retour sur le marché de l’emploi ? Non. Macron pourra-t-il se vanter d’avoir fait reculer de manière significative le chômage à quelques semaines des élections municipales ? Oui. Parce que derrière les chiffres, les statistiques et autres comptes d’apothicaire se cache une véritable manœuvre : celle qui consiste à faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et que dans ce monde-là, les chômeurs retrouvent progressivement le chemin de l’emploi grâce au contexte économique, générateur d’emplois.

Moins de chômeurs, plus de sans emploi

Si l’on en croit les chiffres de Pôle Emploi, seulement un chômeur sur cinq serait sorti des chiffres du chômage pour avoir retrouvé du travail. Pour les autres, la moitié d’entre eux, il s’agit de radiations pures ou d’absence d’actualisation (de leurs droits à indemnités). À l’échelle d’une région comme la Nouvelle Aquitaine par exemple, le nombre de cessations d’inscription des catégories A, B et C pour défaut d’actualisation des droits au chômage est en hausse de 7% par rapport au trimestre précédent et de 8,4% sur une année. Les radiations administratives s’élèvent quant à elles à près de 8% sur un an.

À ces données aussi brutes que brutales, il faut ajouter les conséquences du plan formation, engagé par le gouvernement, qui participe de la chute des chiffres du chômage. Si plus de 10% d’entre eux sont en cours de formation, ils ne sont plus comptabilisés dans les chiffres officiels du chômage. Difficile, dans pareilles circonstances, d’expliquer que le retour à l’emploi des personnes qui s’en éloignent serait la principale préoccupation du gouvernement. L’obsession affichée d’un taux de chômage à 7% d’ici la fin du quinquennat – objectif fixé par Emmanuel Macron lui-même – justifie, pour cette majorité, tous les bons et les mauvais calculs – oubliant que derrière les statistiques et les chiffres, il y a le visage de millions d’hommes et de femmes, qui se retrouvent sans emploi et sans aide –, dont la macronie n’a que faire. Des hommes et des femmes à qui l’on veut faire accepter l’inacceptable.

L’inacceptable, c’est Ken Loach qui en parle le mieux dans son dernier film, « Sorry We Missed You ». Ces emplois à la demande et à la commande. Sans contrat. Sans horaire. Sans sécurité sociale. Sans revenu minimum. Un monde où le salariat disparaît peu à peu pour laisser place à une société d’entrepreneurs. Non loin des jobs à zéro euro. Voilà le projet, le modèle rêvé, d’Emmanuel Macron. Près d’un demi-siècle après Reagan aux Etats-Unis, Thatcher au Royaume-Uni, Hartz et Schröeder en Allemagne, le président Macron veut son moment. Son moment libéral. Son tournant libéral. On y est déjà. Mais il entend bien l’accélérer. Et toujours ce même argument pour justifier l’injustifiable : préférez-vous des gens avec un emploi précaire ou sans emploi ? À cette question, une ancienne ministre du travail (de gauche) m’avait répondu : « J’ai longtemps réfléchi et maintenant je sais que l’important, c’est de trouver du travail aux gens. Quel que soit la nature et le cadre du travail ». La loi El Khomri faisant, les réformes Macron suivant, la flexibilisation des travailleurs, la déstabilisation des stables, étaient déjà en marche. Les protections des travailleurs ont ainsi volé en éclat pendant que libertés des employeurs étaient encouragées. À commencer par la liberté de licencier.

Alors voilà un beau chantier pour la gauche : penser le monde qui vient. Le monde d’après. Anticiper. Et répondre, voire s’approprier les travaux des économistes qui, dans la perspective d’une société durable, réfutent et refusent l’idée du plein emploi. Et proposent : partage du travail, salaire à vie, réduction du temps de travail, reconnaissance du travail bénévole et du travail domestique. Mais avant que la gauche s’assume de gauche, Macron avance. Et ça fait mal…

 

Pierre Jacquemain

Tag(s) : #luttes sociales
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