Le tribunal de Paris s’est intéressé, jeudi 6 juin, au fonctionnement du service des ressources humaines de France Télécom. L’ancien numéro 2, Louis-Pierre Wenès, nie tout « dysfonctionnement majeur », malgré les rapports alarmistes qui se sont accumulés au fil des années.

 

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Pendant plus d’une heure, Louis-Pierre Wenès explique à la barre, document Excel et organigramme à l'appui, le fonctionnement de l’entreprise durant la période 2006-2009. La présidente s’intéresse plus spécifiquement au service RH (ressources humaines), premier concerné par la vague de suicides au sein de France Télécom. Qui et à quel échelon des RH aurait dû se rendre compte de l’ampleur de la crise sociale ? Les explications de l’ancien numéro 2 du groupe, truffées de sigles et d’anglicismes, sont complexes pour qui ne maîtrise pas sur le bout des doigts le jargon managérial. La présidente et les avocats des parties civiles demandent sans cesse des éclaircissements au prévenu, s’attirant les foudres d’une des avocates de la défense : « Mais voyons, ces explications sont limpides ! » Cette apostrophe déclenche des rires du côté des parties civiles.

À défaut de déterminer qui aurait pu ou dû être alerté le premier, ce sont les signaux d’alertes qui sont analysés à la barre. Dès 2006, des appels à la grève des syndicats mentionnaient « les conditions de travail au sein de l’entreprise qui mettent en danger la santé physique et mentale des salariés » ; en 2007, les syndicats SUD et CFE-CGC créent un Observatoire du stress et des mobilités forcées, qui lance une grande enquête en ligne auprès des salariés pour faire la lumière sur la souffrance des travailleurs, suite aux remontées des cas de suicides partout en France. Mais la direction empêche les salariés d’accéder au site de l’Observatoire sur l’intranet de France Télécom, et remet en cause « la méthode et la légitimité d’un processus mis en place par seulement deux syndicats ».

Rapports très alarmistes et concordants

Mais les signaux déterminants qui auraient pu alerter les dirigeants, ce sont les rapports très alarmistes et concordants rédigés par plusieurs inspecteurs du travail sur le territoire, à Rouen, Bordeaux et Troyes. Tous pointent « la grande souffrance » des salariés, témoignages à l’appui : « Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley, vous voyez ? Et bien ici c’est pareil ! » dit l’un ; « Les Temps modernes de Chaplin, et bien désormais, c’est chez nous ! » selon un autre.

Wenès récuse « le terme de souffrance », et lui préfère celui de « difficultés inhérentes à tout processus de transformation ». Il préfère également citer les résultats de l'enquête en ligne menée par l’entreprise en septembre 2007 auprès des employés : 85 % des managers et 68 % des collaborateurs s’y disent satisfaits de la stratégie du groupe. « Dans les verbatims, on voit que ce n'est pas La Petite Maison dans la prairie non plus, mais il y a beaucoup de positif ! », se défend le dirigeant, provoquant quelques rires nerveux dans le public. Du côté des avocats des parties civiles, on veut en savoir plus sur l’élaboration et la représentativité du questionnaire. Devant le refus d’explications de l’ex-numéro 2, une des avocates interroge :

« Vous avez questionné la méthode de celui mené par l’Observatoire syndical, il est normal qu’on se pose des questions sur le vôtre, de questionnaire. »

« Vous insinuez qu’on aurait triché ? » tonne Wenès.

« Non, je cherche juste à comprendre pourquoi les résultats sont si différents de tous les autres rapports… »

Didier Lombard, l’ancien PDG de l’entreprise, peu présent dans les débats de ce jeudi 6 juin, crée néanmoins la stupeur des parties civiles lorsque il déclare qu’en 2008, quand les suicides à France Télécom faisaient les gros titres dans le journaux, ceux-ci étaient loin d’être un sujet majeur pour lui.

J’avais la tête ailleurs, j’étais bien plus préoccupé par quelque chose de plus important pour l'avenir de l'entreprise : la crise des subprimes !

Le procès se poursuit jusqu’au 12 juillet.