Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

Assemblée nationale. Les marcheurs ont désormais leurs frondeurs

Pierre Duquesne

Jeudi, 7 Juin, 2018

L'Humanité

 

L’écologie politique a du mal à peser dans l’Hémicycle, regrette le député LREM François-Michel Lambert (au centre), qui envisage la création d’un groupe avec des députés non inscrits. 

En off, plusieurs députés marcheurs, venus de la gauche, appellent à un remaniement ou à un virage social de l’exécutif. Certains espèrent créer un nouveau groupe pour peser à l’Assemblée face à l’avalanche de mesures libérales et anti-environnementales.

«Entre les godilles et la fronde, il y a un chemin que l’on a tracé depuis le début qui est la co construction. » C’est par ces mots qu’Hervé Berville, porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée nationale, tentait de minimiser la fracture de la majorité lors de l’examen de la loi asile et immigration, en février. Au final, à peine quatorze députés marcheurs se sont abstenus et un seul avait voté contre : Jean-Michel Clément, député de la Vienne et ancien du PS. Depuis, on ne compte plus les voix dissonantes provenant des bancs de la majorité.

Ce week-end, Guillaume Gouffier-Cha, député LREM du Val-de-Marne, lui aussi ex-socialiste, a tenté par voie d’amendement d’empêcher la vente de HLM dans les zones où les objectifs de la loi SRU n’étaient pas respectés lors de l’examen du projet de loi Elan. La semaine dernière, c’est Erwan Balanant, son homologue (Modem) du Finistère, qui a ferraillé – en vain – pour mieux encadrer le pantouflage des hauts fonctionnaires dans le cadre du projet de loi sur l’avenir professionnel. Près de 70 députés ont soutenu fin mai un amendement proposant l’interdiction de l’utilisation du glyphosate d’ici trois ans. Ils ont reçu une fin de non-recevoir de l’exécutif, bien aidé par le reste du groupe, bien plus docile. Ils ont été sévèrement pris à parti, mardi, par le premier ministre lors d’une réunion de groupe très remuante à l’Assemblée. N’en déplaise au bon élève de la Macronie Hervé Berville, il y a donc, chez LREM, les godilles, les godillots ET la fronde.

« La politique migratoire d’Hortefeux, la politique économique de Sarkozy »

Le vent de révolte provient surtout de députés venus du PS et d’Europe Écologie-les Verts, de plus en plus mal à l’aise avec la multiplication de réformes libérales. À la loi asile et immigration, qui s’est avérée bien plus dure que les paroles du candidat Macron sur le sujet, se sont ajoutés la baisse des APL, la baisse des emplois aidés, la suppression de l’impôt sur la fortune, l’abandon du plan Borloo, sans parler des déclarations récentes de Gérald Darmanin sur les aides sociales… Ce ne sont plus des couleuvres mais des boas constrictors qu’il faut désormais avaler. Au point qu’ils sont de plus en plus nombreux, en off, à réclamer un « virage social » du quinquennat.

« On fait peu de choses pour l’économie dans les territoires. Mais beaucoup pour alléger la fiscalité du CAC 40 », a confié cette semaine, en off, un député à un journaliste de France 2. « Ça donne l’impression qu’on a la politique d’immigration d’Hortefeux, la politique économique de Sarkozy et la politique environnementale d’EDF », confie un ancien socialiste à Europe 1. D’autres plaident en faveur d’un remaniement gouvernemental destiné à rééquilibrer l’exécutif en remplaçant les ministres dits « techniques » – sont visés Élisabeth Borne, Jacques Mézard et Françoise Nyssen – par des figures politiques venues de la gauche. Ils contestent le poids politique pris par le trio constitué par Édouard Philippe, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire. « Macron a été élu par le centre gauche, et on mène une politique de droite », soupire un pilier de la majorité.

Même certains membres du premier cercle commencent à aller dans ce sens. « On est la majorité qui a augmenté le plus les minima sociaux, qui fait une assurance-chômage pour tous, et on ne l’entend pas. Les grandes voix de ce gouvernement sont plutôt à droite. Il faut faire vivre le “en même temps” », a déclaré hier le député de la Vienne Sacha Houlié, fondateur des Jeunes avec Macron, après être passé par le MJS.

L’interview de Brigitte Bourguignon au Journal du dimanche, le 12 mai dernier, n’est pas passé inaperçu. Et pour cause. Cette ancienne du PS, présidente de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée, a exigé d’en « faire plus pour ceux qui ont moins ». Si elle dit soutenir la politique menée pour « libérer l’économie et renforcer la compétitivité des entreprises », elle espère toujours voir aboutir le « grand projet social » évoqué par Emmanuel Macron. « S’il y a un élan économique, on ne peut pas admettre que les plus fragiles, en particulier les mères célibataires, les jeunes, les seniors et les territoires abandonnés, restent à l’écart », estime-t-elle. Elle est aussi montée au créneau contre l’idée, énoncée par Bruno Le Maire, de baisser les aides à l’emploi si le marché du travail venait à s’améliorer. « C’est une mauvaise idée, c’est une idée de Bercy et nous ne sommes pas là pour traduire uniquement les idées de Bercy », a déclaré avec aplomb cette élue qui réunit chaque mercredi une trentaine de parlementaires du « pôle social » de la majorité. En plus d’une inflexion de ligne, ces députés, proches de la CFDT, visent à faire revenir ce partenaire dans le jeu, notamment en vue de la réforme annoncée sur les retraites.

Bientôt un huitième groupe au Palais Bourbon ?

Ils ne sont pas les seuls à s’organiser. La bataille autour du glyphosate a laissé de graves séquelles chez de nombreux députés écolos élus sous la bannière LREM, déçus de voir que le slogan « Make our planet great again » n’ait pas été suivi d’effets. « On ne peut pas prononcer de grands principes au sommet et que cela n’entraîne pas d’action concrète et politique au Parlement », s’émeut François-Michel Lambert, député LREM des Bouches-du-Rhône. « Il faut faire en même temps la transition économique et solidaire », confie à l’Humanité cet ancien d’Europe Écologie-les Verts, en référence au « en même temps de gauche et de droite » d’Emmanuel Macron. Déplorant que l’écologie politique ait du mal à peser dans l’Hémicycle, il évoque la création d’un huitième groupe à l’Assemblée pour défendre ces enjeux et renforcer au passage la position trop esseulée de Nicolas Hulot au gouvernement. Ils seraient une quinzaine de députés intéressés par l’aventure, en comptant certains radicaux non inscrits, comme Sylvia Pinel et Olivier Falorni, les députés nationalistes corses ou encore Jean-Michel Clément, premier frondeur du « nouveau monde ». La « dimension humaniste », la défense des « territoires » et « l’écologie » pourraient être les traits d’union de ce nouveau groupe, détaille François-Michel Lambert. Cet ensemble hétéroclite pourrait obtenir le renfort de Delphine Batho, qui vient de quitter le Parti socialiste pour prendre la tête de Génération écologie. À moins que cette menace vise à mettre la pression en vue d’un hypothétique remaniement gouvernemental. « En 1997, il y avait deux ministres pour six députés écolos dans l’Hémicycle », note d’ailleurs François-Michel Lambert. En attendant, une tribune doit être diffusée dans la presse, la semaine prochaine, pour continuer de faire avancer la cause écologiste. Tribune et article de presse restent pour l’instant l’arme privilégiée de la plupart des parlementaires LREM pour faire bouger les lignes. Cette tribune vantant la transition écologique s’ajouterait à celle publiée à l’automne pour faire avancer les débats sur la fin de vie, et à celle diffusée la semaine dernière en faveur de la PMA pour toutes les femmes, hétéros comme lesbiennes. Une autre tribune serait aussi envisagée pour appeler l’exécutif à opérer un « virage social ». Mais il faudra sans doute attendre longtemps avant de voir les parlementaires LREM sévir au Parlement.

Édouard Philippe soigne sa « gauche »

Il faut « jouer collectif », a tonné le premier ministre, mardi, pour calmer ceux de son camp qui s’expriment « dans la presse pour critiquer les propos du gouvernement ». Pour envoyer un message à son aile « gauche » et aux ex-PS de sa majorité, il se rend jeudi au Mirail, à Toulouse, où il échangera avec le personnel d’un Ehpad, visitera une prison pour évoquer la réinsertion et une entreprise favorisant l’embauche de travailleurs handicapés.

Pierre Duquesne

Journaliste

 

Tag(s) : #Députés
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :