Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Charlotte Recoquillon : « Black Lives Matter est aujourd’hui le principal continuateur de la lutte émancipatrice »

 

 

 

 
 
 

Lu sur https://www.humanite.fr/charlotte-recoquillon-black-lives-matter-est-aujourdhui-le-principal-continuateur-de-la-lutte-653129

Yolanda Renee King, la petite fille de Martin luther King, à l’occasion de la Marche pour nos vies, le 24 mars 2018, à Washington. Photo : Cheriss May/NurPhoto

Ni la fin de la ségrégation légale, aussi forte soit-elle de transformations, ni l’élection d’un président noir n’ont permis de surmonter les pesanteurs de l’histoire et les discriminations produites par un système générateur de précarités. Entretien avec Charlotte Recoquillon, de l’Institut français de géopolitique.

Quelle est la marque laissée par Martin Luther King sur la société des États-Unis ?

Charlotte Recoquillon C’est d’abord la fin de la ségrégation légale. Un grand pas en avant. Car les États- Unis ont été fondés, il ne faut pas l’oublier, sur une organisation esclavagiste de la société. Et ils reposaient encore, jusqu’au début des années 1960, sur une séparation stricte des « races ». Les militants des droits civiques ont réussi à arracher une transformation institutionnelle considérable. Seulement, ils ont pris conscience très vite de la dimension structurelle de la question. Dès la marche de Washington, en 1963, mais surtout dans les années qui suivirent, ils ont lié de plus en plus fortement l’exigence de dignité, d’égalité, de résorption des discriminations vécues par les populations noires rejetées dans des ghettos, à des revendications pour l’emploi, les salaires, les conditions de travail. D’ailleurs, Martin Luther King sera assassiné en 1968 avant un rassemblement de soutien aux éboueurs de Memphis en grève. Cette dimension de classe que l’on a tout fait pour occulter resurgit jusqu’à aujourd’hui.

Pourtant, avec la victoire de Barack Obama, on a célébré l’entrée des États-Unis dans une ère dite post raciale ?

Charlotte Recoquillon On a vu dès l’ère Obama combien cette analyse était erronée. L’avènement d’un premier président noir à la tête du pays revêtait une force symbolique considérable. Elle fut interprétée comme la consécration des luttes émancipatrices des années 1960. Mais Obama a été très « modéré ». Il a fait comme s’il lui suffisait de gérer au mieux cette société post raciale, en se contentant de rappels à l’ordre moraux quand les uns ou les autres mordaient le trait. Il a échoué. Car, hormis sa réforme du système de santé, il s’est refusé à venir sur les causes structurelles du racisme qu’avaient pourtant si fortement repérées King et les militants des droits civiques.

Comment est pris le relais de la lutte émancipatrice contre cette fracture raciste persistante, qui s’illustre aussi par l’élection de Donald Trump ?

Charlotte Recoquillon Trump a joué sur la peur du déclassement des membres des classes moyennes blanches. Les Noirs et les étrangers sont jetés en pâture aux frustrations de populations déstabilisées parce que fragilisées et à leur tour précarisées. Ils sont présentés comme la menace d’« assistés » qui grignoteraient les prérogatives de ceux qui eurent jadis le sentiment d’appartenir à la classe privilégiée, la seule bénéficiant du droit de voter. D’où la réhabilitation du discours suprémaciste.

Le mouvement Black Lives Matter (les vies des noirs comptent) est aujourd’hui le principal continuateur de la lutte émancipatrice. Il est né en 2013, durant l’ère Obama, en réponse à cette longue série de crimes commis sur des jeunes Noirs par des vigiles ou des policiers blancs. Soucieux de démocratie, désireux que les populations noires se réapproprient leur destin, il a adopté un fonctionnement très transversal. C’est un atout pour les luttes, leur essor local. Mais c’est aussi une difficulté pour coordonner des objectifs et mettre au point une stratégie nationale. Aujourd’hui, le mouvement se cherche une direction.

Des réflexes communautaristes s’invitent parfois ouvertement dans le débat, alors même que la plupart des animateurs de Black Lives Matter s’efforcent de revenir sur les enjeux structurels déjà évoqués, pointant le combat de classe éclipsé pour surmonter les divisions héritées de la religion ou de l’appartenance ethnique.

La jonction qui a pu s’établir entre Black Lives Matter et le mouvement des jeunes contre les armes lors de la récente « marche pour nos vies » n’ouvre-t-elle pas de nouvelles perspectives ?

Charlotte Recoquillon Ce rapprochement est intéressant, car rien ne prédisposait les ados, issus très majoritairement de quartiers plutôt blancs et aisés, et les jeunes Noirs influencés par Black Lives Matter, originaires le plus souvent de ghettos de pauvres, à faire converger leurs combats.

Les premiers ont mis fort logiquement le vote au cœur de leur démarche de lutte pour un contrôle des armes. S’ils sentent leurs vies menacées par l’inflation d’armes et la facilité d’accès aux engins les plus sophistiqués que procure leur vente libre, ils sont habités par l’espoir d’un changement politique à moyen et long terme.

Les seconds ne supportent plus le fait d’être considérés comme des citoyens de seconde zone, qu’un policier va tuer sans risquer d’être confondu ou même de perdre son job. Leur exigence de dignité et de justice est beaucoup plus immédiate.

Les ados de la « marche pour nos vies » et les jeunes de Black Lives Matter ont découvert les enjeux communs de leurs combats. Un certain mouvement de radicalisation des oppositions est ainsi confirmé. C’est là que se situe, à mon sens, l’espoir majeur porté par le soulèvement générationel hétérogène que l’on observe aujourd’hui.

Bruno Odent

Tag(s) : #luttes citoyennes
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :