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Emmanuel Macron peut-il réussir ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord prendre la mesure de ce qu’il est en train de faire. Les étapes que sont la nomination d’Edouard Philippe comme Premier Ministre, la constitution du gouvernement, panaché entre ministres « LR-PS-Modem-PRG-sociétés civiles… » tout comme la « recomposition politique » qu’Emmanuel Macron prétend imposer ne sont pas des fins en soi. Ce ne sont que des moyens qui doivent permettre de concrétiser une certaine vision de l’avenir du pays, du type de société qu’il défend. On peut distinguer trois enjeux majeurs qui donnent corps à la « révolution macronienne ».

Le point de départ du renversement que Macron veut imposer est sans doute, au-delà de la remise en cause des partis, une bataille idéologique et culturelle. C’est l’adhésion assumée à la mondialisation capitaliste, à une société de la concurrence et à l’idée de « l’égalité des chances », tout en se portant garant d’un certain nombre de libertés individuelles, du refus de la division (par exemple de la stigmatisation des musulmans). Sarkozy, qui avait souligné l’importance de la bataille des idées avait commencé son mandat en prétendant œuvrer à une « politique de civilisation » pour finir dans les égouts des débats sur « l’identité nationale ». Emmanuel Macron, par son parcours personnel, incarne la possibilité de la réussite, de la « deuxième chance ». L’adhésion à sa personne, peut-être plus même qu’aux mesures qu’il a défendues dans sa campagne, est de fait l’adhésion à un projet de société basé sur la réussite individuelle.
Sa réponse à la priorité numéro un des Français – le chômage – est révélatrice : pas question pour Macron de faire l’erreur comme François Hollande de promettre une inversion de la courbe du chômage. L’objectif est que la perception du chômage soit désormais déterminée par la conviction qu’il est possible de « s’en sortir » (devenez auto entrepreneur, travaillez avec Uber…) et que cette conviction s’imprime durablement au sein de larges secteurs de la société française. Répondre au problème structurel du chômage dans l’économie française supposerait pourtant la mise en œuvre d’une bifurcation sociale et écologique de grande ampleur qui ne fait pas partie de l’horizon du nouveau président. La capacité pour les forces de gauche et écologistes de défendre d’autres réponses, un autre modèle de développement centré sur le refus de la marchandisation, la priorité aux besoins sociaux et écologiques, la réduction du temps de travail – qui est récemment revenue dans le débat public - est de ce point de vue une question cruciale.

Le deuxième enjeu est la capacité du nouveau pouvoir à surmonter la crise politique profonde qui mine aujourd’hui la Vème République. Emmanuel Macron, avec une conception « jupitérienne » et « monarchique » de l’exercice du pouvoir, est déterminé à pousser jusqu’au bout la logique présidentialiste de la Vème République tout en affirmant moderniser la vie parlementaire (loi de moralisation, introduction d’une dose de proportionnelle…). Mais la difficulté majeure à laquelle il est confronté, c’est que la Vème république de 2017 n’est plus celle de 1958. D’une part du fait réformes institutionnelles (notamment le passage au quinquennat depuis 2002) qui impliquent la Présidence de la République dans la gestion des affaires quotidiennes. Mais aussi du bouleversement de la vie politique aujourd’hui hyper médiatisée et travaillée par des aspirations démocratiques fortes ainsi que des tensions sociales explosives. Ses prédécesseurs, Sarkozy comme Hollande, prétendaient tous deux, chacun à leur façon, « prendre du recul », « réhabiliter la fonction ». Mais ils ont été tous deux dominés par le temps médiatique et la gestion immédiate, aussi parce que chaque évènement peut être porteur d’une crise politique de grande ampleur du fait des tensions qui travaillent la société française. La perspective de Macron est, en tant que Président, de réhabiliter le temps long, la vision de long terme qu’il prétend pouvoir incarner. Ce sera également un sujet de débat politique et de confrontation pour s’opposer à sa domination.

Le troisième enjeu qui se dégage est la capacité de la France de peser sur l’évolution de l’Union Européenne. Emmanuel Macron ne s’est pas placé, comme son prédécesseur, dans la perspective de réorienter l’UE et d’en renégocier les traités. Il s’agit d’assumer clairement la construction de l’UE telle qu’elle s’est faite et d’en approfondir la logique. La question européenne aura de ce point de vue fait l’objet d’un débat dans le cadre de la campagne présidentielle qui fait apparaître des évolutions. Il n’était pas tant de question de sortir ou non de l’Europe mais de quelle Europe il faut construire aujourd’hui. C’est d’ailleurs un des points sur lequel Marine Le Pen s’est trouvé la plus en difficulté dans le débat télévisé de l’entre-deux tours, en essayant d’esquiver sa position de sortie de l’euro. Les conséquences du Brexit et la possibilité d’une dislocation globale de l’UE pèse sans doute fortement. L’échec de Syriza de mettre en œuvre une politique anti austérité sont également un élément à prendre en compte. Mais il serait illusoire de croire que cela vaut adhésion aux politiques d’austérités prônées par l’Union Européenne. Macron est déterminé à démontrer qu’il est possible de faire évoluer l’Union européenne et la réforme du marché du travail qu’il entend imposer par ordonnances à l’été 2017 a aussi valeur de démonstration de sa détermination à réformer pour pouvoir peser l’échelle européenne. La nomination de Jean Yves le Drian comme ministre des affaires européennes témoigne de l’importance accordée à cette question. Dans sa rencontre avec Angela Merkel lundi 15 mai, la chancelière allemande a laissé entrevoir la possibilité d’une « feuille de route » et d’une modification des traités pour approfondir la construction européenne. Là aussi, ce sera l’enjeu d’une bataille politique dans laquelle ceux qui défendent la construction d’une autre Europe au service des peuples devront se faire entendre.

La présidence d’Emmanuel Macon sera-t-elle un « spasme du système » comme l’affirme Frédéric Lordon ou la nouvelle respiration d’une hégémonie libérale et autocratique ? Cela dépend largement des mobilisations sociales et de la capacité d’initiative  de la gauche alternative à formuler un contre-projet et une opposition systématique et cohérente aux projets du nouveau Président de la République.

Aux prochaines élections législatives des 11 et 18 juin, la division actuelle des forces qui ont soutenu la candidature de Jean Luc Mélenchon, comme des forces socialistes et écologistes qui s’opposent clairement à Macron et défendent une alternative antilibérale est négative et tout doit être fait pour en limiter la portée. C’est ce que défend Ensemble partout où c’est possible. La première étape pour qu’une opposition de gauche se batte dans ce pays est qu’elle existe. Donc qu’elle se rassemble plutôt que de se disperser.

Le défi posé sera ensuite d’être en capacité d’imposer son propre agenda pour bousculer la « grande transformation » que veut imposer le nouveau Président de la République  et de faire en sorte que les priorités sociales, écologiques et démocratiques s’imposent.

François Calaret

Tag(s) : #Macronneries
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